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144 – MARIE-THERESE DE SAVOIE (1756-1805)

Marie-Thérèse de Savoie, Comtesse d’Artois.
« victime de la Révolution et de son mari »

Marie-Thérèse de Savoie, comtesse d’Artois

Fille de Victor-Amédée III (1726-1796) et de Marie-Antoinette d’Espagne (1729-1785) (142), sœur de Marie-Joséphine de Savoie (1753-1810) (143).

Dès 1772, on pose la question de son mariage avec Charles, frère de Louis XVI, comte d’Artois aussi bien à Paris qu’à Turin, ce qui ne veut pas dire sans hésitation car Victor-Amédée III ne veut pas trop se mettre sous le joug diplomatique français d’autant que certains pensent marier le beau, jeune et déluré comte d’Artois avec une Condé. Enfin tout s’arrange et la princesse arrive finalement à Versailles en novembre 1773.

Face à une sœur unanimement critiquée, elle fait au début bonne impresion "Elle est très bien, un peu petite, une belle peau ainsi que la gorge, le nez fort long et ressemblant fort à son père le roi de Sardaigne". Ecrit Louis XV à l’infant de Parme même si l’ambassadeur Mercy d’Argenteau se montre une nouvelle fois fort critique : " Elle est fort petite, médiocrement prise dans sa taille ; elle a le teint assez blanc, le visage maigre, le nez fort allongé et désagréablement terminé, les yeux mal tournés, la bouche grande, ce qui forme en tout une physionomie irrégulière, sans agréments et des plus communes. Mais ce qui est bien plus fâcheux encore pour cette princesse, c'est la disgrâce de son maintien, sa timidité et son air embarrassé ; elle ne sait prononcer une parole. Elle danse très mal et n'a rien qui n'annonce en elle, ou le défaut de dispositions naturelles, ou une éducation excessivement négligée. Tout le public en a jugé ainsi et son premier coup d'oeil a été trés défavorable pour Mme la comtesse d'Artois". 

144 mth artoisComme d’habitude, les fastes du mariage terminés, il fallut envisager une situation assez complexe. Une fois de plus le couple était bien mal assorti car face à la légèreté de son mari, la jeune comtesse afficha rapidement une raideur qui ne pouvait lui attirer la faveur d ‘une cour réputée pour sa frivolité. Elle eut la fâcheuse tentation de trop fréquenter les filles de Louis XV (tantes de son mari) qui cultivaient la rigueur morale face à la favorite Du Barry pourtant à l’origine de son mariage. Marie-Antoinette afficha tout de suite la même réserve qu’elle avait manifestée contre sa sœur (143).

Alors que madame Campan lui reconnaît « un très bon teint et un visage gracieux… », La barone d’Oberkitch la décrit avec «une petite stature, un caractère doux, elle était ingénue d’un caractère doux et dotée des plus admirables qualités avec une belle carnation mais un nez un trop gros… ». Elle n’en suscite pas moins peu de sympathie du fait semble-t-il de sa peur d’en faire trop et finalement de sa réserve un peu froide, sans grande relation avec sa sœur envers laquelle elle semble avoir manifesté quelque jalousie puisqu’elles n’avaient pas le même rang dans la préséance des cérémonies ni la même situation dans les perspectives familiales (Marie-Joséphine pouvait avoir encore des enfants et ainsi la faire reculer dans l’ordre de succession).

Portrait de Marie-Thérèse de Savoie, 1778.

En 1775, on croit voir la situation évoluer. Louis XV est mort l’année précédente et la Du Barry a dû se retirer, mais surtout Clotilde, (145) la sœur du nouveau roi, avec laquelle elle avait quelque peu sympathisé, part à Turin épouser son propre frère, le prince héritier Charles-Emmanuel IV, événement qui semble révéler un parti piémontais à Versailles, ce qui accentue la colère de Marie-Antoinette toute puissante maintenant qu’elle est devenue reine. Promotion qui a accentué aussi les débauches du comte d’Artois ouvertement protégé par la reine et qui s’affiche publiquement et confusément avec les comtesses de Guiches, de Contat et surtout de Polastron comme aussi avec des artistes (la Duthé ou la Lange), ou avec des étrangères comme lady Barrimore.

Certes, Marie-Thérèse fit ses preuves en mettant au monde quatre enfants, deux filles moururent en bas âge mais les deux garçons survécurent Louis d’Angoulême (1775-1844) et Charles–Ferdinand de Berry (1778-1820). Cependant il en eût fallu beaucoup plus pour renverser la situation. Face à une femme qui se sentait dorénavant plus mère qu’épouse, Charles d’Artois quitta presque le foyer conjugal au grand dam de l’ambassadeur sarde à Paris, le comte de Viry qui ne voulait pas voir les princesses compromettre par leurs raideurs ses manœuvres pour une alliance franco-sarde. En plus arriva la calomnie d’une liaison avec un officier de la garde. Des Granges qui fut arrêté et eut bien du mal à se disculper ce qui n’empêcha pas la permanence des méchancetés jusque dans les mémoires de la comtesse de Boigne écrite une génération après.

Tout change de genre en juillet 1789 avec le départ de la famille d’Artois qui inaugure ainsi le grand mouvement de l’émigration. Marie-Thérèse se retrouve donc à Bruxelles puis en Allemagne, mais en septembre on se fixe enfin à Turin où tout pourrait bien continuer si ce n’était la présence de Madame de Polastron dont Charles d’Artois ne peut se passer, d’où une grave crise mystique de la princesse refusant toutes les cérémonies de la cour et se déclarant ouvertement pour une retraite dans un couvent, décision rendue vaine par l’intervention massive de toute la famille royale atterrée d’une telle perspective.

Elle vit partir d’abord sans regret son mari (et sa maîtresse) mais en 1795 elle pleura vivement ses fils rappelés par leur père à l’armée des émigrés de Coblence. C’est donc dans la plus complète solitude qu’elle vit mourir son père puis partir sa sœur Marie-Joséphine, préférant rester à Turin dans l’ombre de son frère le nouveau roi Charles-Emmanuel et de sa belle-sœur la reine Marie-Clotilde (145) qui lui prodigua son affection et son appui dans une situation de plus en plus critique aussi bien à Turin face aux officiers français occupant le pays et que dans une Europe bouleversée et oublieuse de l’ancienne dynastie de France.

En décembre 1798, il fallut quand même quitter Turin en même temps que le reste de la famille royale. Après bien des errements, elle se retrouva finalement à Klagenfurt en Carinthie dans l’incapacité de se rendre à Mittau pour assister à la noce de son fils le duc d’Angoulême avec sa nièce, ex-madame royale, auxquels elle dut se contenter d’envoyer un nécessaire de toilette en cadeau de mariage. La guerre l’obligea en 1804 à s’établir à Graz plus sûr que Klagenfurt. Certes elle revit de temps en temps son fils Berry mais elle n’avait rien à espérer de son mari installé maintenant en Angleterre même après la mort de Madame de Polastron et bien décidé à ne pas s’encombrer d’une épouse gênante et triste. Désespérée, elle se laissa mourir en juin 1805, demandant seulement que l’on mette son cœur dans le tombeau de sa belle-sœur Clotilde à Naples, décision mal venue à la veille d’une nouvelle guerre qui amena les Français dans cette dernière ville et il fallut attendre une dizaine d’années pour voir la réalisation d’un vœu pourtant bien simple. En 1836, son (ex) mari vint mourir pas trop loin de Klagenfurt à Goritz (Gorizia) où il fut rejoint plus tard dans la mort par le duc et la duchesse d’Angoulême mais personne ne songea alors à rassembler les corps d’une famille à laquelle plus personne ne pensait, le couple d’Artois resta donc séparé à jamais. La pauvre princesse était vraiment destinée à vivre le martyr de la solitude …


  • OCCELLA P. : Il matrimonio della principessa Maria Teresa di Savoia col conte d’Artois.   Turin, 1877.
  • 132, 142, 143, 145, 146, 147, 152