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145 – MARIE-CLOTILDE DE BOURBON (1759-1802)

145 - MARIE-CLOTILDE DE BOURBON, (1759-1802) , princesse de Piémont , reine de Sardaigne

« plus religieuse que reine «

Notice du mariage de Clotilde de France avec le future Charles Emanuel IV en 1775.
Notice du mariage de Clotilde de France avec le future Charles Emanuel IV en 1775.
Clotilde de France (dite la grosse bourbon), soeur du Roi Louis XVI et épouse de Charles Emanuel IV
Clotilde de France (dite la grosse bourbon), soeur du Roi Louis XVI et épouse de Charles Emanuel IV

 

 

 

 

 

 

 

 

Elle avait été à Versailles le 7° enfant de Marie-Josephte de Saxe (1731-1767) et du grand-Dauphin Louis (1729-1765) mais après avoir perdu déjà deux frères, elle fut orpheline très tôt et dût se résigner à vivre seule avec ses trois frères aînés (les futurs Louis XVI, Louis XVIII et Charles X) et sa sœur cadette (la future malheureuse Elisabeth) sous la direction de sa grand-mère Marie Leczinska dans une atmosphère évidente de piété plus que de lumière.

En 1775, dans le cadre du rapprochement politique entre la France et la Sardaigne, elle épouse à 16 ans Charles-Emmanuel, prince héritier de Sardaigne (1751-1819) son aîné de huit ans, mariage disproportionné et en particulier par l’allure des deux époux, elle vive, débordante de santé, forte pour ne pas dire obèse ( comme ses parents et comme ses frères Louis) d’où ses surnoms « gros Madame » « la grosse Bourbon » , lui renfrogné, maladif, épileptique ( ?) et maigrichon. Ce fut le troisième et dernier mariage franco-sarde après ceux de ses deux frères Louis de Provence et Charles d’Artois avec les deux sœurs de son mari, Marie- Joséphine (143) et Marie- Thérèse (144). En1771 et 1773, la Maison de Savoie adhérait ainsi pleinement au pacte de famille ( des Bourbons) conçu par Choiseul en 1761 pour établir la paix européenne. Marie-Joséphine de Provence avait beaucoup œuvré pour ce mariage : » On dit que Madame Clotilde épouse mon frère. C’est une excellente acquisition à faire. Pour la figure, elle est très bien, une belle physionomie, de beaux cheveux blonds, des yeux bleus et bien taillés, un teint admirable,, elle est fort grandie depuis que je suis ici et même un peu maigrie.Elle est parfaitement bien réglée » ce dont doutait pourtant son père le roi Victor très sceptique sur les « possibilités » des femmes fortes : « Dans ce pays, toutes les françaises qui y viennent , prennent de l’embompoint . Vous n’ignorez pas la préférence marquée que Piémont (Charles-Emmanuel) dès son enfance a eue pour les femmes minces et élancées et son éloignement décidé pour les femmes grasses… », en bref une union mal inaugurée….

Les mémoires de Louis XVIII qui avait accompagné sa sœur, racontent ironiquement le mariage de celle-ci à Chambéry en présence de toute la famille  royale : le roi et son frère Chablais à la piété scrupuleuse et austère, la reine pleine d’ironie, les princes « insignifiants », les princesses Artois et Provences toutes en excès contraires . On joua une pièce de Ducis qui fit rire tout le monde à propos d’un « roi au charme inexprimable » ( on avait pourtant supprimé in extremis une pièce de Guilbert du fait d’une allusion à un traitre issu de la famille royale), on se querella sur les questions de préséance, sur les prétentions des courtisans piémontais et des autorités savoyardes comme sur les « sottises » de l’ambassadeur Viry .

Clotilde dut encore attendre près de 20 ans pour se faire reconnaître le titre de souveraine, temps agréable de fêtes, de voyage entre le château royal de Turin et les demeures voisines de Stupinigi, de Veneria Reale entre Milan et Thonon, entre Nice et Aix. Bien sûr il y a en filigrane le regret d’un mariage stérile , cas extrêmement rare dans la maison de Savoie et politiquement désastreux car en dépit de la nombreuse famille de Victor-Amédée III les mariages y sont peu nombreux et peu productifs, que va donc devenir la monarchie à moyenne espérance ? Enfin il y a naturellement un peu d’humiliation car le couple princier n’a pas fière allure, lui de petite taille et chétif, elle au contraire forte et de belle taille

Au printemps 1789, l’humeur de Marie-Clotilde ne peut être bonne car l’arrivée à la cour de Turin de la nouvelle duchesse d’Aoste, Marie-Thérèse de Modène-Este(147) lui fait entrevoir la perspective d’un héritier du trône né hors de son couple ( ce qui n’aura pas lieu finalement) enfin elle ne peut que s’inquiéter de l’ouverture des Etats Généraux de Versailles. Les évènements lui donnent raison car   peu après Clotilde reçoit ses frère d’Artois et Provence venu se réfugier à Turin avec leurs tristes épouse mais le plaisir des retrouvailles ne saurait dissimuler la montée dess périls. En 1791, Clotilde voit ainsi passer ses tantes (filles de Louis XV) qui gagnent Rome pour s’éloigner de l’agitation du royaume, mais quel effondrement d’apprendre aussi l’arrestation de Louis XVI et de sa famille à Varenne , ce n’est ainsi que le début d’une longue inquiétude sur le sort de son frère « de France » dont l’exécution en janvier 1793 va littéralement la briser .La cour de Turin s’enfonce dans la tristesse : « Le prince de Piémont répare un extérieur peu agréable par beaucoup d'esprit, autant qu'on peut en juger en si peu de temps et à ce que l'on assure par des qualités essentielles. La princesse de Piémont, son épouse, que nous avons vue en France sous le nom de Mme Clotilde, et que vu son embonpoint on appelait "le Gros Madame" aurait à peine été reconnue d'aucun de nous, tant elle est changée, vieillie et maigrie. Elle a perdu ses dents et toute apparence de fraicheur. Elle a pourtant seulement trente ans. Elle n'a point d'enfants. Cela manque aujourd'hui à son bonheur car elle est parfaitement heureuse avec son mari qui a pour elle la plus profonde vénération, sentiment qu'elle a inspiré à toute la cour. Elle est d'une extrême dévotion et très scrupuleusement attachée à l'étiquette de cette cour qui n'en est que plus triste. 

Le prince de Piémont, né en mai 1754 est dans sa trente-neuvième année. Le duc d'Aoste, second fils du roi, né en juillet 1759, est extrêmement laid et ne nous a rien laissé préjuger de son esprit ni de son caractère. Il vient d'épouser il y a six mois, la fille aînée de l'archiduc Ferdinand. Cette jeune princesse, née le 1er novembre 1773, est d'une figure charmante, grande, bien faite, d'une tournure naïve et enfantine et parait dans cette cour d'autant plus agréable que tout ce qui l'entoure est d'une laideur amère. 

Les trois autres fils du roi, le duc de Montferrat, le duc de Genevois et le comte de Maurienne, agés de vingt-sept, vingt-cinq et vngt-trois ans, ont encore si peu vu le monde qu'à peine ils savent parler. Un signe de la tête est tout ce qu'on peut obtenir. Ils mènent une vie très réglée et ne sortent pas encore sans leur gouverneur et un des trois ne quitte jamais les autres." (selon le comte d’Espinchal qui avait accompagné le couple de Provence) . En septembre 1792, l’arrivée des Français en Savoie l’avait déjà anéantie car c’était le signal de la guerre entre sa patrie d’origine et le royaume de son époux. Turin se remplit d’émigrés français et savoyards, la guerre de plus en plus proche menace le Piémont mais le prince héritier se tourne plus vers la foi que vers l’ardeur militaire. Le couple adhère ainsi publiquement au tiers ordre franciscain alors que l’armée sarde ne peut tenir face aux Français , 1795 fait culminer les malheurs car il faut subir l’attaque radicale du général Bonaparte, la défaite et la capitulation l’armistice de Cherasco et l’humiliant traité de Paris qui réduit le royaume en apparence à la neutralité et en fait à l’occupation et à la soumission,. C’est dans cette situation désespérée que le roi Victor-Amédée meurt à Moncalieri en octobre 1796 donnant enfin à Charles-Emmanuel l’occasion d’arriver au pouvoir, lourde charge pour un garçon timide et maladif peu aidé  par Marie-Clotilde de plus en plus triste et de plus en plus réservée.

L’austérité traditionnelle de la cour s’est muée d’ailleurs en un repli austère sur soi, le couple royal ne vit plus que dans l’ombre des « ducs frères » et encore le couple Victor-Emmanuel d’Aoste ( futur Victor-Emmanuel I°, héritier potentiel puisque Charles-Emmanuel et Marie-Clotilde n’ont pas d’enfant) ) – Marie-Thérèse de Modène-Este ( 147) propre nièce de la reine de Naples et de Marie-Antoinette) n’est ni joyeux ( lui aussi n’a pas d’enfants ) ni porté à l’ouverture, le couple Maurice de Chablais et Marie-Anne (146A -en fait sa nièce) est de la même eau , aggravée encore par l’inégalité des âges, et les trois ducs célibataires de Genevois ( futur Charles-Félix), de Montferrat et de Maurienne ne sont que des introvertis peu sociables. Une telle atmosphère ne pouvait pousser la reine à la gaieté et même à assurer pleinement son rôle. Enfermée au palais royal, se limitant à quelques intimes, écrasée par une actualité toujours plus inquiétante. En effet face à l’ apparition d’un mouvement jacobin qui encourage une sourde agitation dans tout le royaume, confrontée aux atteintes de plus en plus nombreuses contre l’autorité royale et contre la puissance ecclésiastique, soumise à l’obligation de rencontrer, même de temps en temps, les officiers ou dignitaires français souvent grossiers ou au mieux imbibés de l’esprit des lumières qui lui fait maintenant horreur, la pauvre reine vit un calvaire évident. dont elle ne cherche l’issue que dans une rigueur religieuse de plus en plus asociale.

Clotilde
La reine Clotilde en prière. Eloignée du trône et de sa famille, la reine se réfugie dans la piété en attendant de se retirer de la vie officielle.

Attendant le martyr, elle ne trouve que l’exil car en décembre 1798, les exigences de l’occupant (alors le général Grouchy) se font plus décisives, la famille royale doit donc quitter Turin et dans la neige , la tristesse et l’ affolement quitter le royaume en direction du sud-est (mais est-on même sûr de trouver là le calme tant espéré ?). La situation des Savoie semble alors désespérée puisque abandonnés de tous côtés, ils n’ont plus ni soutien apparent à l’intérieur, ni appui diplomatique à l’extérieur (seul le tsar Paul manifeste encore son amitié mais il est bien loin) et faute d’aller comme prévu jusqu’à Rome (d’où le souverain pontife est lui-même chassé pour être amené à Valence où il meurt misérablement) on s’arrête en Toscane mais celle-ci est menacée à son tour. En février 1799, une seule solution s’impose alors : passer en Sardaigne ultime possession de la dynastie qui n’avait jamais manifesté son intérêt pour ce domaine lointain, certes symbolique (puisqu’il garantit le couronne du royaume) mais tellement pauvre que l’on peut douter de sa valeur ( les Français n’ont d’ailleurs jamais songé à l’attaquer ni depuis le Corse ni même en se rendant en Egypte au printemps 1798) situation peu glorieuse mais cependant assez sûre car protégée par la marine anglaise qui croise en permanence en Méditerranée garantit encore sa sûreté ). On s’installe donc comme des miséreux à Cagliari attendant des jours meilleurs. Le seul profit décisif pour Clotilde fut néanmoins sa rencontre avec un ancien jésuite le père Denes qui devint son confesseur et père spirituel.

Contre toute attente, ils arrivent quand même à quitter la Sardaigne, en septembre dans l’espoir d’une restauration favorisée par la victoire de la seconde coalition austro-russe qui a envahi l’Italie du nord, mais il faut vite déchanter, le tsar Paul, qui a vainement demandé au Directoire le retour des Savoie à Turin disparaît et les Habsbourg qui se sont bien gardés de les rappeler à Turin lors de leur réapparition en Italie dans l’été 1799, sont définitivement battus et repoussés d’Italie à Marengo. On erre donc lamentablement en Italie centrale profitant du rétablissement des souverains traditionnels, que ce soit le grand duc de Toscane, le souverain pontife et le roi de Naples (avec parfois des rencontres pittoresques comme celle près de Florence avec le grand homme de lettres Alfieri alors ouvertement favorable aux idées jacobines et françaises) C’est durant une visite à Caserte près de Naples que le reine succombe en mars 1802 à une fièvre typhoïde, (elle est inhumée peu après en l’église Santa Catarina du tiers ordre franciscain de Naples) mettant au comble de la détresse le pauvre Charles qui, désespéré, décide alors en juin 1802, d’abandonner titres et pouvoirs à son frère Victor, il lui en reste d’ailleurs si peu et il en est tellement dégoûté que cette renonciation est aussi facile qu’évidente.

Tout est fini au moins dans les aspects politiques car la vie continue, Le roi se retire définitivement à Rome chez les anciens jésuites (ou ce qu’il en reste) et profitant de la restauration de l’ordre en 1814 il y entre au noviciat à côté de l’église Sant Andrea al Quirinale où il attendra encore quatre ans pour mourir en 1819. Entre temps, son beau-frère et son frère étaient revenus sur leurs trônes à Paris comme à Turin et Napoléon s’épuisait à Sainte-Hélène loin de tout comme lui mais forcé alors que lui pouvait s’enorgueillir de la liberté de son choix.

De toutes les façons, le couple n’attendait plus rien depuis longtemps., il mourut moins dans l’isolement forcé que dans la solitude voulue et supportée de plein gré, moins dans les regrets que dans la sérénité d’une foi chrétienne obstinée et confiante. Ils n’étaient plus de ce monde depuis longtemps, n’ayant plus rien à y faire, plus rien à espérer, ils disparurent donc discrètement ne laissant que de vagues souvenirs. Avec elle, la branche aînée des Bourbons perdait un de ses derniers rameaux, elle n’en avait d’ailleurs plus beaucoup donc elle n’en avait plus pour bien longtemps à survivre et les Savoie entraînés dans la même misère ne pouvaient guère espérer mieux.

Dès 1808, une certaine ferveur populaire avait proclamé Marie-Clotilde « ange tutélaire du Piémont » et elle fut bientôt déclarée « vénérable ». En 1933, le prince héritier Humbert, alors prince de Naples lui faisait édifier un tombeau et quarante ans plus tard il entamait avec le soutien des franciscains une procédure de béatification pour Marie-Clotilde

PERRERO D., I reali di Savoia nell‘esilio 1799-1806, Turin 1898.

DEGLI ALBERTI, Lettere inedite (Carlo Emanuele IV, Vittorio Emanuele I°, Carlo Felice, Carlo Alberto), Turin, 1901.

PIOVANO A. Clotilde di Savoia. Turin, 1987. 244 p.

REISET G.A.H.  : "Les lettres inédites de Marie-Antoinette et de Marie-Clotilde, Reine de Sardaigne. Paris, 1877. 404p.

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