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143 – MARIE-JOSEPHINE DE SAVOIE (1753-1810)

143 - MARIE-JOSEPHINE DE SAVOIE (1753-1810)

comtesse de Provence, (dernière) reine de France.
« la reine velue »

143 comtesse de provence G Dura 1760 gissepine dupra c 1760 65
Une petite Princesse, beaucoup de perspective, peu de résultat.

Fille de Victor-Amédée III et de Marie-Antoinette d’Espagne {142}, 3° d’une série de 12 enfants. Elle était la sœur de Marie-Thérèse comtesse d’Artois {144}, la belle-sœur de Marie-Antoinette de France, de la reine Marie-Clotilde {145}, de Marie-Thérèse de Modène-Este {147}.

Louis XV, fils d’une princesse de Savoie était fort favorable à un rapprochement franco-sarde, soutenu dans cette tendance par le baron de Choiseul, son ambassadeur de France à Turin et cousin du ministre partisan d’une grande entente monarchique européenne autour des Bourbons et des Habsbourg. Après une enfance manifestement morne dans une famille profondément tournée vers l’Espagne dans une cour versée dans un modèle prussien, elle épouse donc en 1771, Louis, comte de Provence, le futur Louis XVIII (1755-1824).

Les négociations prénuptiales se déroulent facilement, le roi Victor donne à sa fille 420.000 livres de dot plus 30.000 de bijoux et de son côté le roi Louis lui en accorde pour 300.000 plus une rente annuelle de 60.000. En juin 1773, le mariage est célébré à Turin avant le grand départ et la séparation familiale à Avigliana. Par Chambéry et Lyon, le convoi arrive enfin à Fontainebleau puis à Versailles où la nouvelle princesse est présentée solennellement à la cour au milieu de fêtes grandioses.

Marie-Josèphe de Savoie par Alexandre Kucharsky (1790)

Les impressions ne sont pourtant guère favorables : selon le comte de Mercy-Argenteau : "Sa contenance est froide, embarrassée, elle parle peu, sans grâce et elle n'a rien de ce qui est nécessaire pour plaire à cette nation". Pour Pisandat de Meirobert dans les Mémoires Secrets : " Cette princesse est très brune : elle a d'assez beaux yeux mais ombragés de sourcils très épais ; un front petit ; un nez long et retroussé ; un duvet déja très marqué aux lèvres." Seul Louis XV se montre favorable en écrivant à l’infant Ferdinand de Parme "J'arrive de recevoir la comtesse de Provence. Elle est très bien faite, pas grande, de très beaux yeux, un vilain nez, la bouche mieux qu'elle n'était, fort brune de cheveux et de sourcils et la peau parfaite pour une brune" et plus tard "Sans être jolie, elle est très agréable et si j'avais quelques années de moins après l'avoir vue, je l'aurais bien prise pour moi." 

A cet égard, Louis XV est l'un des très rares contemporains à présenter un portrait avantageux de Marie-Joséphine. Les autres décrivent avec complaisance ses sourcils en broussaille, ses moustaches ou son air emprunté. Un fait paraît certain : la princesse est affligée d'un système pileux développé. Une seule solution, se soumettre à la torture des pinces à épiler et des cires ! (d’où le titre «la reine velue» du livre de Charles Dupêchez).

De toutes les façons, la cour de Versailles par sa splendeur mais aussi par ses excès et ses querelles de clan ne correspondait pas à une princesse introvertie et habituée à l’austérité et à la relative simplicité du palais royal de Turin. Le comte de Provence eut du mal à communiquer avec sa nouvelle épouse qui n’avait vraiment rien pour l’attirer, petite, un peu (trop) forte, timide, poilue (incapable de résister aux méprisantes appréciations des courtisans à son égard «elle est mieux que je ne l’espérais» madame Campan étant encore la plus douce en mentionnant «d’assez beaux yeux et un certain air fier et dédaigneux». Elle s’attire vite le mépris et la méfiance de sa belle-sœur la reine Marie-Antoinette qui s’arrange pour l’isoler et la ridiculiser, d’autant que la pauvre Joséphine ne peut compter que sur la Du Barry et le duc d’Aiguillon (grands ennemis de la reine) vite disgraciés, ni sur sa sœur et belle-sœur Marie-Thérèse qui reste assez indifférente et au pire méfiante. Il y aurait aussi pour jouer en sa faveur la princesse de Lamballe, {132} sa cousine et compatriote mais cette dernière est elle-même assez rapidement mise en disgrâce alors que sa remplaçante auprès de la reine, la duchesse de Polignac lui est franchement hostile. Bref, la pauvre femme est isolée, bénéficiant de la seule amitié de ses pieuses belle-sœurs Elisabeth et Clotilde dont elle va se faire la championne du mariage avec son frère Charles Emmanuel. Louis XVIII rappelera plus tard avec cynisme dans ses mémoires un de leurs seuls accords dans leur refus commun de voir la comtesse recevoir a charge de surintendante des enfants de France sous le prétexte que la princesse issue d’une maison royale ne pouvait se mettre au service de personne, refus qui mit la reine en fureur pour la plus grande joie de sa belle-sœur ravie de se venger ainsi des incessantes brimades reçues et du mépris dont elle était entourée.

Epargné par la révolution, mais sans grand résultat.

S’y ajoute bientôt la difficulté (et l’impossibilité) d’enfanter qui la remplit de honte et d’amertume, mais qui surtout accentue encore les sarcasmes de ses ennemis, d’autant que personne ne veut mettre en question la compétence de son époux. Voulant éviter les mêmes commentaires que ceux déversés sur son royal frère, le comte de Provence s’était vanté d’aune excellente nuit de noces alors que la jeune princesse déclarait s’être aperçue de rien. Enfin et sans doute en lien avec la précédente situation, il faut compter sur l’indifférence de son époux qui a pris dès 1776 (l’impétueuse et ambitieuse madame de Balbi comme maîtresse et confidente. Tout ceci explique facilement la tristesse de cette pauvre femme qui ne peut manquer de se réfugier dans l’alcool et dans l’affection de sa lectrice Madame de Gourbillon, amie douteuse et maladroite qui contribuera grandement à la réputation de la princesse comme lesbienne. Déjà initialement son amitié pour Madame de Balbi avait causé un fort émoi à la cour et auprès du couple royal. Décidément rien ne lui est épargné et l’on comprend l’importance pour elle de sa villa de Montreuil «sa folie» loin de Versailles où elle peut couler des jours heureux et tranquilles mais néanmoins assez rares, loin de Versailles des avances de Madame du Barry et de réserves du parti autrichien enfin elle doit compter avec les critiques unanimes sur sa malpropreté et sa «mauvaise bouche» sur laquelle même l’ambassadeur de Viry désespère d’obtenir des traitements efficaces «je souhaiterais aussi que le roi et la reine lui fissent légère insinuation sur les soins qu’elle doit donner à sa coiffure et à l’entretien de ses dents. Je souffre d’être véritablement en cas de parler de ceci à votre excellence (le ministre) mais ces sortes de choses qu’on regarde comme des minuties ailleurs sont des affaires essentielles dans ce pays-ci… »

1789 avait mal commencé avec la disgrâce de sa favorite et des accusations de plus en plus graves sur ses excès de la princesse qui n‘en fut que plus mélancolique, bien entendu, absorbée par ses problèmes personnels, elle n’a pas vu arriver la Révolution qu’elle subit néanmoins sans réagir ni aux intrigues de son mari ni à son déménagement à Paris (au palais du Luxembourg) et encore moins à leur fuite en juin 1791 au même moment que celle de la famille royale. Leur aventure mieux organisée que celle de cette dernière réussit, car la comtesse séparée de son mari a pu le retrouver assez facilement à Namur (pour y apprendre bien sûr l’échec de la fuite de Louis XVI et de Marie-Antoinette mais aussi pour constater que le comtesse de Balbi sa rivale est toujours là).

Commence alors l’aventure de l’émigration qui mène à son comble le malheur de cette pauvre princesse. Le couple intitulé dorénavant «comte et comtesse de Lille» s’installe d’abord avec les «Artois» à Turin, où ils sont d’ailleurs bien accueillis d’autant que la ville regorge vite d’émigrés français connus. Cependant il faut compter avec l’austérité d’une cour que les princes trouvent bien tristes ainsi qu’avec la prudence des ministres désireux de ne pas compromettre les relations franco-sardes. D ‘ailleurs dès 1792, la conjoncture se détériore avec la radicalisation des évènements français et la guerre déclarée durant l’été et accélérée ensuite sans aucun succès pour la cause sarde. le comte de Provence quitte le Piémont n’y revenant que passagèrement au début de 1794 tout juste pour y entrevoir son épouse début de 1794. Aussi sitôt après 1796, l’armistice de Cherasco qui met le Piémont hors de la coalition, après la mort de Victor-Amédée III et l’avènement de Charles-Emmanuel IV bientôt soumis aux exigences du Directoire, il n’est plus question pour elle de demeurer à Turin, d’où un nouveau départ et cette fois dans l’inconnu. Certes elle est désormais reine de France (et dorénavant elle ne cessera d’être appelée ainsi) mais encore faut-il savoir pour qui ? avec quelles ressources ? et dans quel but ?

Deux années d’errance seule, pauvre et triste en Allemagne pour enfin rejoindre en juin 1799 son mari installé à Mittau en Lettonie grâce à la générosité du tsar où elle arrive juste avant sa nièce (ex madame royale, fille de Louis XVI) et son neveu le duc d’Angoulème (fils de son beau- frère d’Artois) que la politique va marier peu après, moment de grâce et d’illusion éphémère car le climat peu favorable et la conjoncture rendent bientôt le séjour du couple (maintenant royal) difficile. Il faut en 1801 s’installer à Varsovie où le roi de Prusse leur laisse le château de Lazienski jusqu’en 1804 où contraints de repartir ils reviennent à Mittau qui leur permet de rester jusqu’en 1807, date de la paix franco-russe de Tilsitt qui de nouveau les éloigne cette fois vers l’Angleterre. La «reine» y débarque en août 1808 avec sa nièce d’Angoulême pour y retrouver leurs époux qui entre temps ont réussi à emménager au château d’Hartwell près de Londres.

Commence alors la dernière étape de la pauvre souveraine, une vie calme, retirée, assez médiocre car les aides financières du régent d’Angleterre et du tsar peuvent tout juste suffire à entretenir le couple princier. Certes elle est respectée et honorée de tous, en relations bienveillantes même si néanmoins sans chaleur avec son mari mais elle souffre de plus en plus des yeux, du foie et du pylore et bientôt d’hydropisie, déclin qui lui fait accepter la mort sans trop de difficulté en novembre 1810. "mon âme souffre cruellement ! ma consolation est de penser à sa mort la plus courageuse et la plus édifiante qui fut jamais, écrit Louis XVIII qui rajoute deux jours après, plus de larmes, plus d’angoisses, mais un regret sincère, un vide dans ma vie que je sens cent fois par jour...". De toutes les façons l’histoire où elle a joué finalement si peu de place, continue sans même entretenir son souvenir.

Elle est enterrée solennellement et provisoirement à Westminster d’où elle est transférée en 1811 à Cagliari mais il faudra attendre l’arrivée de son frère Charles-Félix au trône quinze ans plus tard pour qu’on ait le temps, l’idée et l’argent de lui faire un tombeau correct. Notons cependant que son mari «l’oublia» en Sardaigne puisqu’elle ne fut jamais ramenée à Saint-Denis.

Louis XVIII, dans ses mémoires, éditées à Bruxelles en 1833 par Louis Hauman et Compagnie, libraires, raconte :

« Cette année 1810 devait m'être défavorable, qui se termina par la mort de la reine ma femme, expirée à Goldfield Hall, le 13 novembre 1810. Cette excellente princesse, à laquelle nos infortunes m'avaient doublement attaché, les avait supportées avec une magnamité peu ordinaire : tranquille, lorsque les amis vulgaires s'abandonnaient à leur désespoir, jamais elle ne fit un de ces actes de faiblesse qui abaissent le dignité d'un prince. Jamais non plus elle ne me donna aucune peine d'intérieur, et elle se montra reine dans l'exil comme elle l'aurait été sur le trône. Sa gaieté douce me convenait ; son courage que rien ne pouvait abattre, retrempait le mien ; en un mot, je puis dire de la reine ma femme ce que mon aïeul Louis XIV dit de la sienne quand il la perdit : « Sa mort est le premier chagrin qu'elle m'ait donné ». La reine, âgée de cinquante-sept ans, eut non seulement tous mes regrets, mais encore ceux de mes proches et de nos serviteurs. La famille royale me prodigua dans cette circonstance une foule d'attentions délicates et soutenues. Elle voulut que les restes de Sa Majesté fussent ensevelies à Londres avec tous les honneurs rendus aux reines de France dans la plénitude de leur puissance. C'est à Westminster que reposent ces chères dépouilles ; puisse la terre leur être légère ! Je suis convaincu que l'âme qui y logeait habite aujourd'hui les régions célestes où elle prie avec les bienheureux de notre famille, pour son époux et pour la France. »


  • Joséphine de Savoie, comtesse de Provence en nymphe de la chasse (1770)
  • Joséphine de Savoie enfant
  • REISET G.A.H. : Joséphine de Savoie, comtesse de Provence. Paris, 1913, 303 p.
  • DUPECHEZ CH.: La reine velue, Marie-Joséphine-Louise de Savoie, dernière reine de France. Paris, 1993, 125 p.

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